Publié le 10/11/2007 à 12:00 par lireenpremiere
Roman réaliste et naturaliste.
Auteurs et oeuvres.
Romans réalistes (1855-1858).
- Allemagne:
Freytag (1816-1895), Doit et avoir (1855)
Keller (1819-1890), les Gens de Seldwyla (1856)
Raabe, la Chronique de la rue aux moineaux (1857)
Holz (1863-1929), Papa Hamlet (1889).
- Angleterre:
Eliot (1819-1880), Scènes de la vie cléricale ( 1858).
- France:
Champfleury (1821-1889), les Bourgeois de Molinchart (1855).
Flaubert (1821-1880), Madame Bovary (1857).
- Norvège.
Collett (1801-1895), les Filles du préfet (1855).
- Russie.
Tolstoï (1828-1910), Récits de Sébastopol (1856).
Romans naturalistes (1864-1895).
- Allemagne.
Hauptmann, l'Aiguilleur Thiel (1888).
- Angleterre.
Moore (1852-1933), la Femme du cabotin (1885).
- Danemark.
Bang (1857-1912), Générations sans espoir (1880).
Jacobsen (1847-1885), Niels Lyhne (1880).
- Espagne.
Pereda, Scènes de la montagne (1864).
Galdos (1845-1920), la Déshéritée (1881), Fortunata et Jacinta (1886-1887).
Bazan (1852-1921), un Voyage de noces (1881), le Château de Ulloa (1886).
- France.
Goncourt (1822-1896 et 1830-1870), Germinie Lacerteux (1865).
Zola (1840-1902), Thérèse Raquin (1867), Madeleine Férat (1868).
Flaubert, l'Education sentimentale (1869).
Zola, les Rougon-Macquart. Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second empire (1871-1893), l'Assommoir (1877).
Daudet (1840-1897), les Rois en exil (1879).
Goncourt, les Frères Zemganno (1879).
Huysmans, les Soeurs Vatard (1879), les Soirées de Médan (1880).
Zola, Nana (1880).
Céard, une Belle Journée (1881).
Daudet, Numa Roustestan (1881).
Huysmans (1848-1907), En Ménage (1881).
Maupassant (1850-1893), la Maison Tellier (1881).
Lemonnier, un Mâle (1881).
Flaubert, Bouvard et Pécuchet (1881).
Zola, Germinal (1885), l'Oeuvre (1886).
Huysmans, En Rade.
Zola, la Terre (1887).
Maupassant, Pierre et Jean (1888).
Daudet, l'Immortel (1881).
Zola, l'Argent (1891), la Débâcle (1892), le Docteur Pascal (1893).
- Italie.
Capuana (1839-1915), Giacinta (1879).
Verga (1840-1922), les Malavoglia (1881), Maître Don Gesualdo (1888).
- Norvège.
Garborg (1851-1924), Etudiants paysans (1883).
Skram (1847-1905), les Gens du marais de Helle (1887), Trahison (1892).
- Pologne.
Prus (1847-1912), la Poupée (1887).
- Portugal.
De Queiros (1845-1900), les Maias (1888).
- Russie.
Dostoïevski (1821-1881), Crime et châtiment (1866), les Frères Karamazov (1879-1880).
Tolstoï, Guerre et paix (1867-1869).
- Suède.
Strinberg (1849-1912), la Chambre rouge (1879).
Définition et fonction dans la société.
Romans sérieux mettant en scène, sur un fond historique précis, des personnages de tous les milieux, de toutes les classes sociales et de toutes les catégories socio-professionnelles, avec une prédilection pour les personnages issus des basses classes.
Le discours réaliste est un discours persuasif : il cherche à produire l'illusion référentielle. Le récit se veut conforme à la réalité socio-culturelle du lecteur. Il représente des objets, des personnes et des enchaînements stéréotypés et attendus par l'énonciataire. Il renvoie au contexte extra-linguistique. Il multiplie les procédés créateurs d'effet de réel.
Le roman réaliste/naturaliste a un but pédagogique, il doit pouvoir transmettre ce que l'auteur lui-même a appris. Il se caractérise par sa grande densité cognitive. A l'écriture préexiste la fiche d'information (technique de composition caractéristique du genre).
Il répond à deux exigences : il se doit à la fois de donner au lecteur des garanties sur la vérité du savoir asserté et, comme roman, de conférer à ce savoir un statut narratif. D'où le recours au "personnel romanesque" (Hamon), personnages-prétextes garants de l'information (personnages compétents) ou justificateurs de description (personnages-point de vue). Les tranches informatives sont intégrées à la narration. Le personnage est délégué. Il assume ce qui, chez Balzac par exemple, était généralement assumé par les intrusions d'auteur.
Le roman réaliste est encore soumis à l'exigence de lisibilité. Il comprend des procédés de désambiguïsation divers : hypotaxe, anaphores, cataphores, rappels, etc. Le lecteur n'est pas en retard sur le personnage. Il possède l'information nécessaire pour pouvoir assurer ses opérations de mémorisation ou d'anticipation.
C'est un roman qui vise des couches de lecteurs plus étendues et moins cultivées que celles touchées par le roman traditionnel.
Origines et postérité.
Origines.
Le roman réaliste apparaît en premier lieu en France.
1) Origines extra-littéraires. Facteurs historiques et culturels.
- l'échec de 1848, la fin de l'"illusion lyrique" (entraîne la condamnation de l'idéalisme romantique).
- la Révolution, la Commune, les premières actions anarchistes, dont le roman va tenter d'analyser les mécanismes. Introduction du peuple dans la littérature.
- le développement des sciences et la vulgarisation scientifique. Importance de la physiologie. Les écrivains trouvent dans les sciences une méthode, des sujets et une nourriture pour l'imaginaire.
- l'assouplissement progressif des moeurs (permet des descriptions plus hardies).
2) Origines littéraires.
- le roman historique (voir fichier ROMANS ROMANTIQUES, en A.6.1.). L'évolution se fait quand les écrivains entreprennent de devenir les "historiens du présent" et non plus seulement ceux du passé. Balzac a inauguré la méthode documentaire pour les Chouans, en 1829.
- les deux modèles : Stendhal et Balzac.
Stendhal. Introduit dans le roman une forme de réalisme inconnue avant lui. Nouveaux procédés : focalisation, restriction de champ. Roman conçu comme une chronique du temps présent centrée sur la biographie d'un personnage (titres : Armance. Quelques scènes d'un salon en 1827, le Rouge et le noir. Chronique de 1830). Narration inscrite dans une réalité contemporaine. "Petits faits vrais" (= sans fonction narrative) qui donnent au récit sa vraisemblance. Interventions d'auteur (vs roman réaliste/naturaliste).
Balzac. Explication de la réalité historique et sociale de son temps, fondée sur une observation systématique. Type. Roman de moeurs. Détails, circonstances minuscules.
- le dépassement du romantisme. Réaction contre l'étalage du moi, le sentimentalisme, la littérature d'épanchement.
Postérité.
Vers 1884 (date de publication de A Rebours) : réaction générale contre le naturalisme. A partir de 1885 : reprise du roman d'analyse comme réaction au roman naturaliste. Le roman psychologique n'explique plus l'homme par ses réactions physiologiques, mais étudie le mécanisme spirituel de sa vie sentimentale et morale. Bourget (1852-1935).
Mais des oeuvres écrites à la fin du XIXe siècle et au début du XXe relèvent encore de l'esthétique réaliste:
- des romans cycliques : Rolland, Proust et Galsworthy.
- des romans français : Philipe (Bubu de Montparnasse, Marie Donadieu, le Père Perdrix, 1901-1904), Istrati (Récit d'Adrien, 1925), Hermant (la Carrière, 1894), Tharbaud (la Fête arabe, 1906), Malraux (la Condition humaine, 1933), Aragon (le Paysan de Paris, 1926), Colette, Montherlant, etc.
- des romans italiens et espagnols : Borgese (Rubè, 1921), Ibanez (Fleur de mai, 1895), Baroja (Vies sombres), etc.
- des romans de langue anglaise : Benett (la Famille Clayhanger, 1916), Crane (Maggie, fille des rues, 1893), Lewis (la Grand'rue), Dos Passos (1919, 1925), Hemingway (l'Adieu aux armes, 1929), etc.
- des romans néerlandais et allemands : Buysse (la Maison bleue, 1912), De Meester (Geertje, 1906), Van Schendel (un Drame hollandais, 1935), Querido (la Peine des hommes, 1904), etc.
- des romans russes : Bounine (l'Amour de Mitia, 1924), Kouprine (Moloch, 1896), Gorki, Chmélov (le Soleil des morts, 1927), Gladkov (le Ciment, 1925), Fédine (les Cités et les années, 1924), Léonov (les Blaireaux (1925), etc.
Le nouveau roman cherche encore à élaborer des formes qui révèlent les richesses du réel.
Bibliographie.
BECKER, Colette, Lire le Réalisme et le Naturalisme, Dunod, 1992.
CHEVREL, Yves, le Naturalisme, PUF, 1982.
HAMON, Philippe, le Personnel du roman, Droz, 1983.
MITTERAND, Henri, le Regard et le signe. Poétique du roman réaliste et naturaliste, PUF, 1987.
MITTERAND, Henri, l'Illusion réaliste, PUF, 1994.
Numéros spéciaux de revues : Communications 11, le Vraisemblable, 1968.
Poétique 16, le Discours réaliste, 1973.
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.Roman Romantique.
Auteurs et oeuvres.
Romans romantiques.
Schlegel, Lucinde (1799).
Brentano (1778-1842), Godwi (1801) et le Brave Gaspard et la belle Annette (1817).
Arnim (1781-1836), la Comtesse Dolorès (1809).
Moricke (1804-1875), le Peintre Nolten (1832).
Mme de Staël, Delphine (1802), Corinne, ou l'Italie (1807).
Chateaubriand (1768-1848), Atala (1801), René (1802).
Sénancour (1770-1846), Obermann (1804).
Benjamin Constant (1767-1830), Adolphe (1809).
Le Hongrois Eoetvoes (1813-1873), le Chartreux (1839-1840).
Alfred de Musset (1810-1857), la Confession d'un enfant du siècle (1836).
Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1836).
George Sand (1804-1876), Indiana, Valentine, Lélia, André, Jacques (de 1832 à 1837).
Sainte-Beuve, Volupté (1834).
Honoré de Balzac, le Lys dans la vallée (1835)
Romans historiques.
Walter Scott (1771-1832), Waverley (1814), Guy Mannering, l'Antiquaire, Ivanhoe, etc.
Alfred de Vigny, Cinq-Mars (1825).
Victor Hugo (1802-1885), Notre-Dame de Paris (1831).
Prosper Mérimée, la Chronique de Charles IX (1829).
Honoré de Balzac, les Chouans (1829).
Alessandro Manzoni, les Fiancés (1823).
Alexandre Dumas père, les Trois Mousquetaire (1844).
- Au Portugal.
Garrett et Herculano.
- En Allemagne.
Alexis (1798-1871), Walladmor (1824), Cabanis (1832), les Culottes du sire Bredow (1848).
Hauff (1802-1827), Lichtenstein (1826).
- En Hollande.
Drost (1810-1839) et Van Lennep (1802-1868).
- En Pologne.
Bernatowicz (1786-1836), Pojata (1826), Rzewuski (1791-1866).
- Au Danemark.
Ingemann (1789-1862).
Romans d'aventures.
L`Américain Fenimore Cooper (1789-1851), l'Espion (1821), le Pilote (1823), le Dernier des Mohicans.
Romans merveilleux.
Hoffmann (1776-1822), les Elixirs du diable.
Le Danois Andersen (1805-1875), l'Improvisateur (1835), Rien qu'un musicien (1837).
Roman sociaux.
Victor Hugo (1802-1885), Claude Gueux, Misères (devait devenir les Misérables).
Eugène Sue, les Mystères de Paris (1842).
Définition et fonction dans la société.
Le mot romantique est employé à partir de 1815 dans les différentes langues d'Europe pour caractériser les formes nouvelles de la littérature, en tant qu'elles s'inspirent du passé national, qu'elles placent les valeurs sentimentales de l'âme au-dessus de celles de la raison, qu'elles donnent plus de place à la personne de l'écrivain ou de ses personnages dans leurs particularités individuelles.
Les romans romantiques ne constituent pas à proprement parler un genre. Ce sont des romans de différentes formes nés dans une société nouvelle (post-révolutionnaire en France, instable dans les autres pays, sur lesquels la Révolution française a agi, ébranlant le monde intellectuel et moral) dont ils cherchent à refléter les moeurs, les idées, les sentiments et les aspirations. Le roman est une forme ouverte, apte à appréhender le divers : il peut s'approprier les mouvements de la société et leur donner de l'intelligibilité. Le romancier veut jouer un rôle dans le monde, exprimer l'âme de sa nation, de sa classe ou de sa génération et enseigner : l'on cherche un sens à l'histoire et l'on croit en la perfectibilité de l'homme. Les aspirations nouvelles sont l'affranchissement de l'individu (confessions, confidences directes ou à peine voilées par une fiction, moi qui assume ses bizarreries, ses postulations contradictoires) et des individus (aspirations humanitaires, roman social) et le franchissement des frontières : du monde extérieur (exotisme, orientalisme, littérature de voyage, ouverture aux littératures étrangères, exotisme du temps : roman historique), du monde intérieur (désir d'aller au-delà des frontières qui séparent la réalité du rêve, intérêt pour la vie imaginative, pour les sensations hors du commun) et du monde surnaturel (recherche de la foi, d'un idéal, mysticisme, littérature frénétique, fantastique). Les romans de l'époque romantique constituent une littérature de contestation (Rousseau a créé l'image d'une vie idéale qui s'oppose à la réalité historique; la Révolution française a soulevé des espoirs avant de sombrer dans le despotisme; la jeune génération a le sentiment d'arriver trop tard dans un monde trop vieux, bourgeois et utilitariste) : l'on cherche à s'affranchir du réel (exotisme, passéisme, égotisme, esthétisme, fantastique) ou à l'attaquer (roman à thèse, roman social, mythes de la révolte, ceux de Caïn et de Satan, dans la fiction). Le roman a une mission sociale, il doit favoriser l'émancipation de l'humanité.
L
es variétés de romans romantiques.
1) Les romans exclusivement romantiques. S'y donnent libre cours, le plus souvent sous une forme autobiographique ou épistolaire, des protestations contre la société et la morale sociale, des revendications des droits de l'amour et de la femme, le culte de l'individu, de la passion, souvent joint à celui de la nature. Ardeur des passions ou tendresse idéaliste des sentiments, expérience directe, revécue avec intensité, ton personnel, langage pathétique, thèse sentimentale.
2) Le roman historique . L'action est dans le passé, avec le cadre et les moeurs d'une autre époque, elle mêle aux héros fictifs des figures réelles.
3) Le roman à thèse, le roman social.
4) Le roman d'aventures et le roman merveilleux. Ils transportent le lecteur soit dans des contrées éloignées, soit dans une vie moins monotone, plus riche en aventures, soit dans le domaine du fantastique, du surnaturel, dans un domaine où les événements sont conduits par des forces mystérieuses.
Origines et postérité.
Origines. Les écrivains préromantiques (écrivains qui, vers la fin de l'âge classique, se distinguent par des traits qui annoncent les romans romantiques, mais qui restent classiques à plusieurs égards). Ils apparaissent tout d'abord à partir du second tiers du XVIIIe siècle en Angleterre et en Ecosse, puis en Suisse et en Allemagne.
1) Préromantiques anglais et écossais. Ce sont les plus nombreux et ceux qui ont exercé le plus d'influence à l'étranger. Révolte contre la tradition classique empruntée à la France, apologie d'une poésie plus libre et plus naturelle, enthousiasme pour le gothic (moyen âge). Samuel Richardson (1669-1761), avec Pamela (1740), Clarisse Harlowe et Sir Grandisson (1754), trois romans épistolaires, est le principal initateur du roman sentimental. James Macpherson (1736-1796), avec Fingal et Temora (1760), fut le créateur d'un monde nouveau. Henry Mackenzie, l'Homme sensible (1771), roman sentimental.
Romans gothiques : Horace Walpole, le Château d'Otrante (1764); Ann Radcliffe (1764-1823), le roman de la forêt (1791), les Mystères d'Udolpho (1794).
Laurence Sterne (1713-1768), Vie et opinions de Tristram Shandy (1760- 1767), Un Voyage sentimental (1768). Innovations préromantiques : ces romans font une grande place à la sensibilité, certains au gothique, d'autres aux paysages ou à la personne de l'auteur, voire au lecteur (Sterne).
2) Préromantiques de langue allemande. Sentiment de la nature, culte des antiquités nordiques et nationales, poésie légendaire et populaire, lyrisme personnel, droits de l'originalité, contre la tradition classique et d'origine française, contre l'hégémonie littéraire de la France. Les préromantiques allemands sont surtout des poètes. Goethe (1749-1832), les Souffrances du jeune Werther (1774), Stella et les Affinités électives (1809). Romans imités de Werther (ceux de l'Allemand Miller, du Hollandais Feith, du Russe Karamzine, 1766-1826, Natalie et la Pauvre Lisa, 1792) où s'étalent la sensibilité, l'amour de la nature, la mélancolie, la passion, etc. Jean-Paul (Richter, 1763-1825), Hesperus (1795). Schlegel, Lucinde (1799).
3) Préromantiques français. Les plus importants sont des prosateurs.
a) A partir de 1755. Rousseau est à l'origine de l'importance de la figure de l'auteur. Avec Julie, ou la nouvelle Héloïse (1761), il innove par son culte pour le sentiment individuel, par la place qu'il fait à la sensibilité, à l'imagination, la rêverie, par sa passion pour la nature, son idéal de vie simple, son dédain pour les formes sociales et les contraintes traditionnelles. Grande influence en France, en Allemagne, en Angleterre et en Suède. Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), Paul et Virginie. Loaisel de Tréogate (1752-1812), Soirée de mélancolie, la Comtesse d'Alibre, Dolbreuse, Ainsi finissent les grandes passions (de 1777 à 1788) et Ramond de Carbonnières.
b) A partir de 1800. Nodier, Sénancour, Aldomen (1795) et Obermann; Chateaubriand, Atala (1801), René et Mme de Staël, Delphine (1802) et Corinne.
En Angleterre, en France et en Allemagne, le roman du XIXe siècle prolonge celui des préromantiques. Il y a évolution plus que brusque mutation. Les romans ouvertement personnels et en grande partie autobiographiques qui se publient au tournant du siècle, ou peu après, prolongent la veine sentimentale de Werther, le lyrisme de Heine, de Tréogate. Les seules exceptions à la continuité sont offertes par le roman historique et le roman social, inventions du romantisme.
Postérité.
1) Le roman réaliste. Le roman historique a renouvelé le genre romanesque, en lui apportant le souci du vrai, du pittoresque, du typique. Il permet l'éclosion d'un nouveau roman. De l'évocation du passé on passe à celle d'un présent sur lequel se reportent le sens du détail et l'intérêt pour les types humains et sociaux.
Le mélange des styles qu'opérait le roman romantique contribua au développement du roman réaliste : n'importe quel fait de société pouvait devenir l'objet d'une représentation littéraire (ouverture à la polyphonie).
Stendhal et Balzac sont des les fondateurs du réalisme (voir Auerbach).
2) Le roman populaire. A partir de 1836 en France des romans sont publiés sous forme de feuilletons. Le mot désigne tout d'abord un mode de publication (par tranches quotidiennes dans les journaux) puis un corpus. Les romans feuilletons sont de longs romans aux intrigues emplies de rebondissements, mêlant action et grands sentiments. Ils connurent un succès massif auprès d'un large public. Dumas (1802-1870), Sue (1804-1857), Soulié (1800-1847).
Le roman feuilleton après 1850 : prolongation et survie du roman historique (le genre populaire par excellence), du roman social, naissance du roman policier, romans d'aventures exotiques et d'anticipation.
Bibliographie.
AMBRIÈRE, Madeleine (sous la direction de), Précis de littérature française du XIXe siècle, PUF, 1990.
AUERBACH, Erich, Le maître de musique Miller et A l'hotel de la Mole, dans Mimésis, Gallimard, 1968, p. 429-449 et 450-488..
BÉGUIN, Albert, l'Âme romantique et le rêve, Corti, 1963.
PEYRE, Henri, Qu'est-ce que le romantisme?, PUF, 1971.
TADIÉ, Jean-Yves, Introduction à la vie littéraire du XIXe siècle, Bordas, 1970.
TODOROV, Tzvetan, Un roman poétique, in la Notion de littérature, le Seuil, 1987, p. 123-138.
VAN TIEGHEM, Paul, Histoire littéraire de l'Europe et de l'Amérique de la Renaissance à nos jours, Armand Colin, 1941.
VAN TIEGHEM, Paul, l'Ère romantique. Le romantisme dans la littérature européenne, Albin Michel, 1969 (1re éd. 1948).
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Le Roman Classique
Auteurs et oeuvres.
XVIIe siècle (1620-1690).
Les nouvelles:
Sorel, les Nouvelles françaises (1623).
Scarron, les Nouvelles tragi-comiques (1655-1657).
Segrais, les Nouvelles françaises (1657).
Les romans historiques et galants:
Mme de Villedieu (1631-1683), Alcidamie (1661), les Annales galantes (1670), les Désordres de l'amour (1675- 1676).
Saint-Réal (1629-1692), Don Carlos (1672), la Conjuration des Espagnols (1674).
Mme de la Fayette, la Princesse de Montpensier (1662), Zaïde (1670-1671), la Princesse de Clèves (1678).
Les romans épistolaires.
Boursault, Lettres à Babet (1669), Treize lettres amoureuses (1697).
Guilleragues, les Lettres portugaises (1669).
Marana, l'Espion turc (1684).
Les romans utopiques.
Cyrano de Bergerac, les Etats et Empires de la lune (1657), les Etats et Empires du soleil (1662).
Gabriel de Foigny, la Terre australe connue (1676).
Denis Veiras, Histoire des Sévarambes (1677-1679).
Claude Gilbert, Histoire de Caléjava (1700).
Fénelon, les Aventures de Télémaque (narration fabuleuse en forme de poème héroïque, selon lui).
XVIIIe siècle (1690-1789).
Les romans "romanesques" (1690-1715): les romans historiques et galants.
Mme d'Aulnoy, Hypolite, comte de Douglas (1690), le Comte de Warwick (1703).
Mlle Caumont de la Force, Histoire secrète de Marie de Bourgogne (1694), Anecdote galante ou Histoire secrète de Catherine de Bourbon (1703).
Catherine Bernard, le Comte d'Amboise (1689), Histoire de la rupture d'Abenamar et de Fatima (1696).
Les romans "réalistes" (à partir de 1715): les romans de moeurs, d'aventures, comiques, sentimentaux, satiriques ou libertins.
Courtilz de Sandras, Mémoires de M. d'Artagnan (1711).
Hamilton, les Mémoires de la vie du comte de Grammont (1713).
Robert Chasles, les Illustres Françoises (1713).
Lesage (1668-1747), le Diable boiteux (1707), l'Histoire de Gil Blas de Santillane (1715-1735).
Marivaux (1688-1763), les Aventures de ... ou les Effets surprenants de la sympathie (1713), la Vie de Marianne (1728-1742), le Paysan parvenu (1734).
Prévost (1697-1763), Mémoires d'un homme de qualité (1728-1731), Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut (1731), le Philosophe anglois, ou Histoire de Monsieur Cleveland (1731-1739), le Doyen de Killerine (1735-1740).
Crébillon, le Sylphe (1729), les Égarements du coeur et de l'esprit ou Mémoires de M. de Meilcour (1736), le Sopha, conte moral (1740), la Nuit et le moment, ou les matines de Cythère (1755).
Duclos, Histoire de Madame de Luz (1741).
Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761).
Loaisel de Tréogate, les Soirées de mélancolie (1777) Denon, Point de lendemain (1777).
Louvet, les Amours du chevalier de Faublas (1787-1790).
Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie (1788).
Choderlos de Laclos, les Liaisons dangereuses (1782).
Sade, Justine ou les malheurs de la vertu (1788).
Restif de la Bretonne, le Paysan perverti (1775), la Paysanne pervertie (1784).
Diderot, la Religieuse (1760), Jacques le Fataliste (1771- 1773).
Définition et fonction dans la société.
Le roman classique du XVIIe siècle peut se définir par opposition au roman héroïque de l'époque baroque, dont il cherche à se dégager. Le roman héroïque mettait en scène les hauts faits de personnages illustres, le roman classique raconte les actions particulières de personnes privées ou considérées dans un état privé. L'intrigue du premier était compliquée, de nombreux acteurs y participaient, le second façonne une intrigue simple entre quatre ou cinq personnages. L'un recourait à des artifices d'exposition, début in medias res, explications rétrospectives, récits de confidents, digressions, l'autre offre une narration linéaire, chronologique, sans digressions, sans intermédiaire de confidents. L'un entassait les aventures extraordinaires dont le hasard était le moteur, l'autre invente des circonstances simples, des événements quotidiens à l'enchaînement naturel. Les personnages de l'un étaient excessifs, idéalisés, l'autre met en scène l'homme du commun. Le discours du premier se caractérisait par son style ampoulé, celui du second se caractérise par son élégance, son atticisme et sa tendance à la litote. Le souci d'atténuation pousse à rapporter les conversations au style indirect; quand elles sont au style direct, elles sont éloignées de la phraséologie baroque autant que du dialogue familier. Enfin le roman héroïque était long, le roman classique est court.
Et si les romans utilisent encore parfois les procédés des romans héroïques, ils les motivent davantage: la Princesse de Clèves conserve la technique du récit à tiroirs, avec la différence par rapport aux romans baroques que les récits intercalés sont rattachés à la figure de l'héroïne: ils lui sont adressés et ont une influence sur elle par la leçon que s'en dégage. Le roman classique recherche un certain réalisme. L'objectif des auteurs est de donner l'illusion de la réalité par des procédés divers qui donnent naissance à de nouvelles formes: les romans historiques et galants, les pseudo-mémoires, les romans épistolaires. Les romans à la première personne non seulement créent la vraisemblance mais encore permettent l'exploration de la vie intérieure. Le romancier se fait moraliste et philosophe, il cherche à sonder les âmes pour mettre à jour les schémas essentiels. A mesure que le roman s'intériorise, il tend vers l'universel: le particulier doit faire voir le fond commun de la nature humaine.
C'est principalement la paix et l'ascension de la bourgeoisie qui conditionnent les changements subis par le genre romanesque au XVIIe siècle. La guerre contre l'Espagne (1634-1659) nourrissait un idéal héroïque reflété par la littérature des années 1630-1660. La paix contribue à la démolition du héros et à l'intérêt pour l'homme ordinaire. A partir de 1620-1630 se constitue un public nouveau, celui de la bourgeoisie aisée. L'on n'écrit désormais plus pour l'aristocrate seulement, l'on s'adresse à l'"honnête homme" qui demande à la littérature des jouissances saines et calmes, un aliment pour sa vie intellectuelle et un guide pour sa vie morale. La vie quotidienne n'est plus objet de caricature, on la décrit pour elle-même, on tente de la restaurer dans son cadre; les personnages de catégories sociales modestes entrent dans le roman (ce qui annonce Lesage, Prévost, Marivaux). Le roman devient l'histoire d'une destinée particulière engagée dans les vicissitudes de l'existence. On est à la fois sur la voie du roman psychologique et sur celle du roman de moeurs.
Au XVIIIe siècle, les acquisitions du XVIIe siècle, brièveté des oeuvres, importance de la vie intérieure, simplicité du style, cadre presque contemporain sont définitives. Mais la première période (1690-1715) ne retient des romans du siècle précédent que le ton et le style. Le roman de la période classique fournit des moyens d'expression à un baroque ressuscité: tout en retenant les leçons du classicisme (mise en garde contre l'emphase, exigence de vraisemblance), l'on recommence à recourir à l'exotisme et à l'aventure. Ces penchants se rencontrent avec la curiosité nouvelle pour le pittoresque social, les traits de moeurs et de caractères hardis ou scandaleux. Le romanesque reprend vigueur. Il s'agit surtout d'un littérature d'évasion.
Techniquement, cette tendance se manifeste par la forme du récit à tiroirs, l'accumulation des épisodes qui ne modifient pas les personnages, les personnages typés, l'héroïsation, les motifs narratifs (duels, empoisonnements, enlèvements, disparitions, déguisements, rencontres, hasard) et la valeur illocutoire du texte (son statut "lacrymogène").
Certains procédés du roman romanesque se retrouvent chez les romanciers de l'époque suivante (chez Lesage, Marivaux, Prévost et Sade; voir Barguillet 1981, p. 46-66).
A partir de 1715, un nouveau type de romans surgit en réaction contre les romans romanesques et sous l'influence des romanciers anglais (Richardson, Fielding et Smolett, introduits en France en 1740). Ces romans cherchent à peindre l'homme moderne. Le roman doit mettre à la disposition du lecteur une expérience, une leçon sur la vie réelle, en racontant des histoires imaginaires. Il doit pouvoir aider le lecteur à définir ses ambitions dans un monde où les barrières sociales et religieuses ont perdu de leur rigidité et où les croyances sont remises en cause.
Les personnages ne sont plus typés, ils sont particularisés, ainsi que les lieux et les sociétés. C'est désormais en collectionnant les particularités (à la façon anglaise) que l'on vise l'universalité. L'on veut à la fois restituer la vérité de son époque avec toutes ses nuances et, en héritier de l'époque classique, transmettre des vérités immuables qui transcendent les pays et les époques.
Mais le réalisme est limité (au moins jusqu'en 1860) par l'esthétique classique (dont Sade prendra le contre-pied), toujours à l'honneur au XVIIIe siècle (c'est ce qui distingue le roman français du roman anglais). L'on ne peut décrire avec précision les décors et les personnages; l'on ne peut évoquer la trivialité de la vie, nommer les choses. On exprime le concret par l'abstrait. Pour ne pas choquer, les romanciers emploient la litote, la périphrase.
Les romans prennent la forme du conte (transcription d'une histoire racontée oralement), des mémoires, du roman épistolaire ou des lettres-mémoires (un narrateur écrit ses mémoires à un correspondant). Ces formes favorisent l'illusion de vérité. Les romans multiplient les procédés illusionnistes (voir Barguillet 1981, p. 143-147). L'auteur se manifeste cependant lors d'intrusions directes (dans une préface, un avis ou des notes) ou indirectes (par l'ironie) dans le but d'assurer la bonne interprétation.
Henri Coulet écrit (p. 8): "Avant la Révolution, faute d'oeuvres antiques auxquelles il puisse demander l'idée de sa perfection, le roman ne connaît pas de chef-d'oeuvre apporté par le courant d'une tradition: les chefs-d'oeuvres existent, mais se détachent isolés sur la médiocrité des oeuvres qui les imitent, sans rien leur communiquer de leurs vertus et sans se continuer vraiment les uns les autres." L'histoire du roman français au XVIIIe siècle révèle une pluralité de tendances et de réussites que l'absence d'une tradition nationale autonome rend difficilement totalisable.
Sous l'influence de Richardson et de Diderot, le roman devient théâtral. Marmontel (Éléments de littérature, article drame, dans Oeuvres complètes, 1819-1820, t.4, p.401) dénonce les auteurs qui copient la réalité pour se dispenser du choix, du goût et de l'invention. Il récuse deux procédés que Diderot jugeait essentiels au drame: le style exclamatif et la pantomime. "Donner pour du naturel l'incorrection, la platitude, l'insipidité du langage, l'oiseuse futilité des petits détails qui se mêlent à l'action, c'est ce qu'on appelle connaître et peindre la nature". Mais (poursuit Henri Coulet, le Roman théâtral, dans les Genres insérés dans le roman, Colloque 1992, p.188) la régularité, l'invraisemblance des sentiments et des aventures disqualifia le roman pour plus d'un siècle. "De Furetière à Diderot, le souci des romanciers, fut de ne pas être confondus avec les Scudéry et les La Calprenède." H. Coulet, Ibidem. Et p.189: "Quand on réunit drame et roman, à l'époque des Lumières, ce n'est pas, comme fait Marmontel, pour trouver des correspondances théoriques, c'est pour répondre aux besoins d'un public nouveau et donner la traduction littéraire d'une nouvelle sensibilité. Ce qu'on fait voir aux yeux renforce l'effet de ce qu'on fait entendre aux oreilles et ce qu'on fait entendre aux oreilles renforce l'effet de ce qu'on fait lire à l'esprit. De là naissent deux tendances inverses et convergentes que l'on constate dans le drame et dans le roman: les indications scéniques se développent dans le drame au point de devenir descriptions, tableaux, récits et même analyses psychologiques; et dans le roman, les dialogues directs, sans incises narratives, deviennent de plus en plus nombreux. ... Dans Jacques le Fataliste, le dialogue d'idées et le dialogue dramatique relaient la narration et se confondent avec elle: on ne peut pas encore parler de roman théâtral mais de roman-conversation (ce qui n'est pas encore le cas chez Marivaux, Lesage et Prévost). Quant aux dialogues de Crébillon (la Nuit et le moment, et, bien que l'auteur y ait maintenu les incises narratives, les passages dialogués du Sopha), ils se situent à mi- chemin du conte et du dialogue mais sans être du roman théâtral car il s'est moqué du réalisme de Richardson et, loin d'exciter la sentimentalité du lecteur, il l'invite au contraire à l'ironie. [Ceci montre la puissance des formes, qui s'imposent même quand le sens n'y est pas.] "Quant à la matière, ce n'est ni dans la mythologie, ni dans l'Antiquité, ni à la Cour, ni dans les salons qu'il faut la chercher, mais dans la famille de l'honnête bourgeois: "Là tu verras des moeurs franches, douces, ouvertes, variées, là tu verras le tableau de la vie civile tel que Richardson et Fielding l'ont observé'" (L.S. Mercier, Du théâtre, 1773, ch.VI, p.84.) Beaumarchais proteste que les histoires des héros antiques n'ont aucun intérêt pour lui (Essai sur le genre dramatique sérieux, dans Oeuvres, Gallimard 1988, p.125; cité par H. Coulet, ibidem, p.192) et Mercier (Ib., chap.28, p.326): "un roman nouveau, malgré son titre, m'intéresse beaucoup plus que les personnages de l'Énéide, qui n'est qu'un antique et incroyable roman. J'apprends de celui du jour à connaître le caractère de ces hommes acteurs de la société avec lesquels je vis'.
Le conte moral. (Suivant H. Coulet, Ibid., p.195). Genre narratif fourre-tout de 1760 jusque bien au-delà de 1800. Il inclut poème, dialogue, pièce de théâtre destinée à la lecture, drame, conte philosophique, conte fantastique... Ex. Lacretelle aîné, Charles Artaut Malherbe ou le Fils naturel (1807), sorte de roman par dialogues.
Origines et postérité.
Origines.
Le roman héroïque et la novela espagnole.
Le roman classique se constitue en réaction contre les romans héroïques de l'époque baroque et sous l'influence de la novela espagnole. Le discrédit qui frappe les longs romans baroques entraîne la réactivation du genre narratif bref. Le roman prend, au début du XVIIe siècle, la forme de la "nouvelle", roman moins long que le roman baroque, mais qui peut atteindre 700 pages. La "nouvelle" emploie les mêmes procédés d'exposition et de composition que le roman héroïque, les mêmes thèmes, les mêmes types de personnages et les mêmes péripéties. Sorel (voir A3) est le précurseur. Il acclimate la novela à la culture française. Scarron et Segrais chercheront à dégager la nouvelle du modèle espagnol. Segrais fait la transition entre le roman baroque et le roman classique. Dans les longues conversations qui ponctuent ses Nouvelles françaises, il cherche à promouvoir une nouvelle tirée d'événements historiques et respectant la vraisemblance.
La source espagnole est partagée par de nombreux écrivains jusque vers 1725, qu'expliquent la prééminence littéraire et l'actualité politique de l'Espagne. La littérature emploie des thèmes et des situations déjà littérairement élaborés. Ex.: Gil Blas. Lesage n'aurait pas réussi à donner au roman français une direction nouvelle sans la ressource d'une littérature déjà constituée, celle du roman picaresque espagnol et du répertoire dramatique des comedias.
Postérité.
Le roman romantique et le roman réaliste.
Le roman romantique. Apparition de la sensibilité (souvent déclamatoire) dans le roman. Influence de la Nouvelle Héloïse sur les préromantiques (voir fichier ROMANS ROMANTIQUES).
Le roman de la fin du XVIIIe siècle (Laclos, Sade) procède à une contestation des règles et de l'esprit classiques: les Liaisons disent l'échec de la cérébralité (voir B2), Sade transgresse les canons esthétiques de son époque.
Le romanesque sombre de la fin du XVIIIe siècle siècle et le romanesque romantique se rejoignent dans le goût des pleurs, de la langueur, des lieux macabres. Mais ils ne se confondent pas: le romanesque du XVIIIe siècle cultive le baroquisme et l'invraisemblance, tandis que le premier romantisme s'attache à la vie des âmes souffrantes (la violence de Sade ne ressemble pas à la douceur triste de Loaisel de Tréogate). Mais la génération ultérieure de romantiques, plus excessifs, se souviendront des extravagances romanesques et les perpétueront en les sentimentalisant.
Le roman réaliste. En 1743, le roman réaliste est définitivement accepté en France. L'ascension de la bourgeoisie a renouvelé les composantes de l'esprit romanesque. L'aventure n'a plus le même sens; elle n'exalte plus que rarement les valeurs aristocratiques, elle s'identifie de plus en plus avec la biographie de l'individu anonyme aux prises avec le réel. Entrée des personnages d'origine modeste dans le roman. Ouverture à la polyphonie.
Bibliographie.
AUERBACH, le Souper interrompu, in Mimésis, Gallimard, 1968, p. 395-428.
BARGUILLET, Françoise, le Roman au XVIIIe siècle, PUF, 1981.
BOURSIER, Nicole et David Trott (éds), la Naissance du roman en France, actes de colloque, Wolfgang Leiner, 1990.
COULET, Henri, le Roman depuis les origines jusqu'à la Révolution, Armand Colin, Coll. "U", 1975.
LEVER, Maurice, le Roman français au XVIIe siècle, PUF, 1981.
SERMAIN, Jean-Paul, Rhétorique et roman au XVIIIe siècle, University of Oxford, 1985.
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Publié le 10/11/2007 à 12:00 par lireenpremiere
Roman courtois.
Auteurs et oeuvres.
-
La "triade classique".
Le Roman de Thèbes (vers 1150).
Enéas (vers 1160).
Benoît de Sainte-Maure, le Roman de Troie (vers 1160).
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Le roman breton.
Béroul et de Thomas (contemporain ou légèrement antérieur), Tristan et Iseult (1170-1190).
Chrétien de Troyes (1135-1181), Erec et Enide (1170), Cligès (1176), Lancelot, ou le Chevalier de la charette (1177-1181), Yvain, ou le Chevalier au lion (id.), Perceval, ou le Conte du Graal (amorcé après le 14 mai 1181).
- Le roman byzantin.
Gautier d'Arras, Eracle (peu après 1164), Ille et Galeron (peu après août 1167).
- Le roman idyllique.
Floire et Blancheflore (1170) Aucassin et Nicolette (premier tiers du XIIIe siècle).
Définition et fonction dans la société.
Récit de longue haleine (vs le lai et le fabliau) souvent en vers octosyllabiques à rimes plates, écrit par un clerc, mettant en scène des exploits de chevaliers et des aventures amoureuses. Le héros est un preux, mais il n'a plus de mission ni de fonction essentielle: l'amour est la grande affaire de sa vie. Le roman reflète une vie de cour délicate, à l'abri du besoin, et exprime une conception aristocratique de l'amour (la fin'amor).
Il s'adresse à un public cultivé dont il flatte le goût littéraire (allusions à d'autres héros romanesques, decriptions d'objets d'arts où sont représentés des épisodes romanesques, etc.), et plus particulièrement aux dames. Le texte n'est plus chanté (comme la chanson de geste) mais vraisemblablement lu, à haute voix, en petit comité, dans la chambre des dames.
Il n'exalte plus une collectivité, mais invite à l'évasion : la chanson de geste prenait son inspiration dans la "matière de France", le roman se nourrit de la "matière antique" (la "triade classique") et de la "matière de Bretagne" (Tristan, les romans de Chrétien de Troyes).
La naissance de ce nouveau genre est à mettre en rapport avec une évolution de la société, caractérisée notamment par l'influence grandissante des femmes et le développement de l'éthique courtoise. Il incarne un rêve de bonheur, un sentiment de force, la volonté de triompher d'un mal. Il a pour fonction sociale de sceller, par le moyen d'une adhésion à un ensemble de valeurs (de beauté et de sentiments) la communauté de la cour (Zumthor 1972).
Origines et postérité.
Origines.
-
Origines de la fin'amor.
1) Poèmes d'Ovide (Ars amandi et Remedia amoris);
2)
Tradition cléricale remontant au haut moyen âge : correspondances plus ou moins amoureuses entre hommes d'Eglise et moniales (cf. liaison d'Abélard et Héloïse, 1118-1120).
3)
Poésie latine des vagants ou goliards, où les thèmes érotiques apparaissent dès le XIe siècle;
4)
Influence musulmane (et plus spécialement andalouse) : poésie arabe inspirée par le mysticisme soufi.
5)
Chansons de geste, dont le roman courtois se distingue. La courtoisie est une réaction contre les valeurs véhiculées par la chanson de geste (mépris des attachements féminins, indifférence à la volonté de la femme, impudeur de la parole).
-
Origines du roman courtois.
1) Les grands récits, mythologiques ou historiques, de l'Antiquité (l'Enéide, de Virgile, les Métamorphoses d'Ovide, la Thébaïde de Stace) fournissent sujets, style, procédés d'invention, images, types de personnages.
2) Histoires et légendes d'origine celtique, baignées de merveilleux païen et de ferveur chrétienne, diffusées par les bardes gallois. Les thèmes de ces récits sont présents dans le Roman de Tristan et les romans de Chrétien de Troyes (qui donne au mythe du Graal sa signification chrétienne et qui, en l'associant à la légende arthurienne, a permis la naissance, au XIIIe siècle, de grands romans religieux attachés au cycle breton).
3) Le roman grec. Le seul roman grec connu (sous forme de traduction latine principalement) au moyen âge est Apollonius de Tyr. On voit son influence sur le roman la Fille du Comte Pontieu, sur les romans idylliques Floire et Blancheflore et Aucassin et Nicolette.
4) Littérature byzantine et orientale. Aimon de Varennes déclare avoir ramené de Philoppopoli le sujet de son Florimont (1188). Influence des Mille et une nuits sur l'Eracle de Gautier d'Arras.
5) Poésie courtoise. Poésie lyrique musicale qui exalte la fin'amor.
Postérité.
- La prose (XIIIe).
L'octosyllabe est au Moyen Âge la forme poétique la moins marquée. C'est la prose du XIIe siècle. Le glissement vers la prose proprement dite se fera au XIIIe siècle, la prose sera alors l'une des caractéristiques du genre romanesque.
Le "dérimage" (= mise en prose de romans préexistants en vers). Ex. : le Tristan en prose (1225-1250).
Les romans en vers du XIIe siècle constituent un trésor où puiseront les romans en prose jusque dans le XVIe siècle. Agents, motifs, procédés d'enchaînement vont être adaptés aux dimensions de la prose désormais sans limites. Tendance à la cyclisation, autour d'agents traditionnels et de types (cf. la chanson de geste, dans la seconde moitié du XIIe siècle, constitution de cycles, à partir des chansons primitives, la laisse s'allonge et la longueur de la chanson augmente).
Mais le vers résiste dans le roman. La prose fait son apparition dans le roman au XIIIe siècle, mais à la fin du XIVe siècle encore, Froissart rime son Méliador sur le modèle hérité de Chrétien de Troyes.
-
La postérité du genre.
Le roman connaît une évolution et une diversification, prenant des couleurs diverses, réaliste avec le Roman de la rose de Jean Renart, allégorique et didactique avec le Roman de la rose (vers 1230) de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun (1270-1285), mystique et religieux avec la Quête du saint Graal et les grands ensembles cycliques en prose , le Didot-Perceval et le Lancelot- Graal.
Le roman courtois imprègne de ses thèmes les dernières chansons de geste.
Les romans de chevalerie des XVe et XVIe siècles sortirent de la plume des compilateurs. Mais, dès 1230-1260, l'"aventure" a perdu son sens existenciel, elle se réduit soit à un enchaînement de symboles (la Quête du Graal) soit à une suite d'anecdotes curieuses.
En Allemagne, le roman courtois connut une grande vogue au XIIIe siècle, avec Hartman von Aue (Erec et Iwein), Wolfram von Eschenbach (Parzival, entre 1200 et 1212), Ulrich von Zatzikoven (Lanzelet) et Gottfried von Strassburg. Mais l'on n'a pu déterminer l'exacte relation de ces textes et les textes français correspondants. Il en va de même pour les romans norvégiens du XIIIe siècle. Il semble qu'il y ait sources communes (sous la forme de contes populaires celtiques) et développement divergent (Zumthor 1972, p. 483).
Zumthor, 1972, p. 370 : La fiction romanesque médiévale a peu de traits communs avec celle qui prévaudra dans des récits ultérieurs. Elle est tournée sur elle-même, sans souci de refléter autre chose que ses propres jeux
.
Bibliographie.
AUERBACH, Erich, "Les aventures du chevalier courtois", in Mimésis, Gallimard, 1968, p. 133-152.
COHEN, Gustave, le Roman courtois au XIIe siècle : les origines du roman, Paris, Centre de documentation universitaire, 1964.
COULET, Henri, "le Roman aux XIIe et XIIIe siècles", in le Roman jusqu'à la Révolution, Paris, Armand Colin, 1967.
RIBARD, Jacques, "Aux origines du roman français : le roman au XIIe siècle", in le Genre du roman, les genres de romans (actes de Colloque), PUF, 1980.
ZUMTHOR, Paul, Essai de poétique médiévale, Le Seuil, 1972.
Publié le 27/10/2007 à 12:00 par lireenpremiere
Catherine Bouthors-Paillart (2002) : le concept du métissage dans l’oeuvre de Marguerite Duras
Comme on vient de le dire, Duras se présenta elle-même à plusieurs occasions comme ‘créole’ ou ‘métisse’. L’étude qui approfondit le plus les implications du concept du métissage dans l’oeuvre de Duras est le livre de Catherine Bouthors-Paillart, publié en 2002 sous le titre
Duras la métisse. Métissage fantasmatique et linguistique dans l’oeuvre de Marguerite Duras.
La grande originalité de cette étude est que l’idée du métissage est donnée comme un principe fondamental qui influe sur l’oeuvre toute entière, bien que le métissage en tant que thème explicite ne se manifeste que dans quelques textes isolés de Duras (op. cit., 10-11).
La conclusion finale de Bouthors-Paillart (op. cit., p. 233) sera qu’il y a « chez Duras une poétique du métissage ».
L’argumentation qui lui fait arriver à cette conclusion est trop complexe et trop fine pour qu’il soit possible de lui rendre entièrement justice ici. Sur un plan très concret, le livre contient, comme le titre l’indique, une analyse stylistique. Duras ayant été bilingue pendant son enfance, Bouthors-Paillart essaie de dégager l’influence de la langue vietnamienne sur son style. Notamment elle arrive ainsi à expliquer la tournure peu idiomatique de certaines phrases dans
L’amant, livre dont la langue est, selon l’expression de Bouthors-Paillart, « idéalement métisse » (op. cit., p. 151). Il ne s’agit pas d’une langue créole ou de l’utilisation de mots vietnamiens mais plutôt de morphologie et de syntaxe « calquées sur celles de la langue vietnamienne » (op. cit., p. 163).
En plus de l’analyse stylistique, l’étude de Bouthors-Paillart comporte des hypothèses psychologiques intéressantes concernant le désir de Duras de s’identifier avec les métis. En simplifiant beaucoup, on pourrait dire que ce désir est interprété par Bouthors-Paillart d’une part comme une tentative de se libérer de la domination de la mère et d’autre part comme une réaction de culpabilité : Duras aurait eu le sentiment de n’avoir pas assez fait ni pour les victimes de la colonisation pendant sa jeunesse, ni pour les Juifs pendant la guerre. L’idée du rejet de la mère se base sur les théories d’abjection de Julia Kristeva (op. cit., p. 5).
En prenant comme point de départ un texte très court de Duras qui évoque son enfance en Indochine, «
Les enfants maigres et jaunes », Bouthors-Paillart montre que l’auteur s’identifiait avec son frère préféré et que tous les deux se comportaient, en tant qu’enfants, comme des jeunes indigènes. Ils rejetaient la mère, dont la chair rose leur paraissait répugnante, et refusaient les nourritures occidentales qu’elle voulait leur faire manger. Ainsi ils crachaient les pommes et la viande rouge, préférant les mangues, qu’elle leur avait défendues, et le riz :
Ce rejet est à entendre dans son sens le plus concret et physiologique : il s’agit littéralement de vomir, de « recracher » toute substance d’origine maternelle, ici le pain, la viande et les pommes, produits importés de France, substituts du lait maternel, cette première substance ingérée par le nouveau-né dans un corps à corps symbiotique avec sa mère. Refuser d’avaler et cracher ces substances revient à s’arracher du « corps abondant rose et rouge » de la mère, ce corps de femme blanche viscéralement perçu par les enfants comme répulsif.
[...] abjecter les nourritures maternelles revient aussi à s’abjecter soi-même, s’expulser hors de la matrice primordiale et devenir centre au prix de sa propre mort. Car s’empiffrer de mangues, c’est courir le risque d’avaler la « bête noire », celle qui transmet les maladies indigènes, et le plus souvent la mort. (Op. cit., p. 6.)
Bouthors-Paillart relie cette idée à l’idée de l’inceste :
« Le fantasme d’une fusion incestueuse du frère et de la soeur en un seul et même corps (« on est le même corps étranger, ensemble, soudés, faits de riz, de mangues désobéies, de poissons de vase, de ces saloperies cholériques interdites par elle ») et la réduction du lien familial à la seule et unique personne du « petit frère »[...] font eux aussi barrage au péril menaçant d’un happement dans le trou vertigineux du néant identaire. » (Op. cit., p. 7.)
En retraçant l’histoire personnelle de Duras, Bouthors-Paillart note que celle-ci a beaucoup évolué après le Barrage. Dans ce livre de 1950, Duras présente le monsieur qui courtise Suzanne sous les traits peu désirables de M. Jô. Bouthors-Paillart estime que son portrait doit beaucoup à Léo, le riche jeune homme avec qui Duras était elle-même sortie lorsqu’elle préparait son bac à Saigon. Duras raconte dans un manuscrit des années 1940 que Léo lui avait paru si répugnant qu’elle avait craché quand il l’avait embrassée sur la bouche (op. cit., pp. 25-27)22. Ce n’est que bien plus tard que l’amant sera décrit comme un homme beau et sensuel d’origine asiatique (le Chinois de L’amant (1984) et de L’amant de la Chine du Nord (1991).
« Comment comprendre ce revirement, cette inversion radicale, à plus de trente-cinq ans d’intervalle, qui fait passer Duras d’un état de répulsion viscérale, au fantasme d’incorporation – elle aussi viscérale – de la race jaune ? » se demande Bouthors-Paillart (op. cit., p. 27). Et sa réponse sera que le « sentiment de culpabilité » de Duras en est la cause principale : « [...] jamais Duras ne se libérera du poids inassumable de ce crime d’avoir été elle-même agent de déliaison dans le vaste processus de ségrégation colonialiste » (op. cit., p. 27).
Bouthors-Paillart parle aussi longuement de ce qu’elle appelle le « corps à corps métis » dans l’oeuvre, l’union sexuelle entre un corps blanc et un corps jaune qui est chez Duras l’expression la plus forte « de son fantasme de métissage » (op. cit., p. 42) :
[...] l’épreuve identifiante de l’altérité en passe comme nécessairement par un corps à corps avec un être de race jaune. [...] cette solidarité proprement physique, viscérale, avec le peuple des opprimés, Duras a désiré la vivre jusque dans sa chair en le marquant des signes distinctifs de la race jaune : écriture fantasmatique idéalement destinée à donner lieu et corps au mélange des races et permettre de faire barrage au processus de déliaison à l’oeuvre dans la séparation hermétique des colons et des Annamites dans l’Indochine des années 1920. (Op. cit., p. 25.)
Un exemple célèbre, à part L’amant, est la relation entre la Française et le Japonais dans Hiroshima, mon amour.
Finalement, l’influence de l’idée du métissage se note dans l’oeuvre de Duras, sur un niveau plus abstrait. Selon Bouthors-Paillart, le concept du métissage peut être utilisé pour subvertir
le « dualisme ontologique traditionnel », puisque la condition métisse permet de rester ouvert à toutes les identités, « l’entre-deux permettant le passage de l’un à l’autre » (op. cit., p. 64).
Publié le 27/10/2007 à 12:00 par lireenpremiere
Le dialogue chez Duras : une zone de turbulences. ( Introduction d'un article un peu long à mettre en ligne mais que je peux fournir à ceux qui veulent approfondir la question)
Ce titre, délibérément métaphorique, voudrait souligner l’usage très particulier et très dérangeant que Marguerite Duras fait du dialogue à tous les niveaux. Grâce au dialogue, ses « textes » se situent dans un lieu de passage, animé d’un mouvement incessant, une zone instable agitée « de turbulences ». En somme là même où, dans un langage moins « moderne », mais tout aussi métaphorique, Pascal situait la condition humaine :
Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d’un bout vers l’autre. Quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte […] nous brûlons du désir de trouver une assiette ferme, et une dernière base constante pour y édifier une tour qui s’élève à l’infini, mais tout notre fondement craque, et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes1.
Cette référence à Pascal est moins aberrante qu’on pourrait le croire car l’œuvre de Duras entretient avec Les Pensées un permanent « dialogue » qu’on peut aussi nommer intertextualité.
Le mot « dialogue » : « échange de paroles entre deux (ou plusieurs) interlocuteurs » déploie ses significations selon plusieurs isotopies :
- en tant qu’événement « réel » il a pour référent « le monde extérieur »2, (le sujet, l’autre, la communication, etc.),
- en tant que « mime », apparent « recopiage »3 de ce réel, il réfère au théâtre, au mode dramatique du discours (mimesis, représentation, etc…), c’est-à-dire aussi à une énonciation toujours double,
- en tant que mime de ce mime, dans le roman, quand le narrateur « feint de céder la parole littéralement à son personnage », il réfère à l’écriture romanesque, à la question des genres, etc.,
- au sens bien plus large, et figuré, de « dialogue des textes ». Qu’on le nomme « dialogisme », selon le vocabulaire de Bakhtine, ou « intertextualité », il met en crise le sujet de l’écriture, débouche sur la philosophie du sujet et finalement, sur une vision du monde : « La vie est dialogique de par sa nature », écrit Bakhtine4.
Vaste programme !
PLACE DU DIALOGUE CHEZ M. DURAS
Dans l’œuvre de M. Duras le dialogue est présent dans tous ses états et occupe une place considérable.
Au long du demi-siècle (1943-1995) que recouvre cette œuvre, le dialogue ne cesse de gagner du terrain aux dépens du « récit ». Au point que même les textes non dialogués tentent un échange (avec le lecteur ?) comme le fait, par exemple, L’Amant5 :
Que je vous dise encore, j’ai quinze ans et demi. (A 11)
Sur le bac, regardez-moi. Je les ai encore. Quinze ans et demi. (A 24).
Ce n’est donc pas à la cantine de Ream, vous voyez, comme je l’avais écrit, que je rencontre l’homme riche à la limousine noire. (A 36)
Oui, que je dise… (A 37)
Ces interjections esquissent un dialogue qui reste unilatéral, opèrent une tentative de séduction, véritable captatio benevolentiae, qui témoigne d’une urgence de la parole communicative. Dans la deuxième version
L’Amant de la Chine du Nord (1991), le dialogue a gagné et le texte adopte la forme du scénario d’un film virtuel - ce qui n’empêche pas Duras de déclarer dans l’avant-propos : « Je suis redevenue écrivain de roman ». On voit déjà comment l’écrivain(e) brouille les cartes.
Le lieu de l’écriture se présente comme une zone de turbulences et de risques où s’affrontent des contradictions non résolues : « l’écriture est avant tout une impossibilité »
La forme dialoguée, Duras l’utilise donc, en tant que signifiant, comme instrument » de brouillage des frontières génériques. « On » ne sait jamais très bien où l’on est dans ces « terrains vagues » (
Le Camion) où les textes ne sont plus ni roman, ni théâtre, ni film et pourtant tout cela à la fois : I
ndia Song n’est-il pas publié comme « texte théâtre film » ? Les « textes », peu définis, se situent dans une zone de transition, ou d’interférences, dans l’instabilité d’un « entre-deux » générique, où s’opèrent les glissements et mutations de toutes sortes.
En même temps, donner la prééminence au dialogue, c’est renoncer à placer le récit sous l’autorité d’un narrateur plus ou moins omniscient et laisser la parole aux personnages. C’est même, à la limite, « détruire » toute autorité et toute certitude.
Détruire, dit-elle : ce titre provocant, qui convient à la plus grande partie de l’œuvre de Duras, fait du livre une scène où tout en passe par les voix. C’est aussi faire le choix du présent et de l’inachèvement.
Dans la diégèse, l’usage du dialogue permet à Duras d’explorer les voies et les impasses de la communication et du rapport à l’autre, d’exhiber les « tentatives (fragiles) pour créer par la parole un espace autre par lui-même et en ce qu’il construirait une relation à l’autre »7, pour « faire exister un lieu qui décentre ». (...)
Publié le 27/10/2007 à 12:00 par lireenpremiere
Voici un article sur l'ouvrage de catherine Bouthors-paillart qui nous a proposés une conférence mercredi 24 octobre 2007 à l'Espace.
Duras entre deux mondes
E. Poulet
Catherine BOUTHORS-PAILLART,
Duras la métisse. Métissage fantasmatique et linguistique dans l'oeuvre de Marguerite Duras, Genève, Droz, 2002, 241 pages
Duras la métisse ? On ne manque pas de s'interroger et d'être quelque peu déconcerté dès la lecture du titre de cet ouvrage. Ce substantif de " métisse " peut en effet surprendre mais Catherine Bouthors-Paillart, d'emblée, dissipe tout étonnement. Tout au long de ce livre passionnant, elle traque les avatars textuels de la dynamique métisse chez Duras, éclairant ainsi les oeuvres, les personnages, pour s'attacher ensuite à cette langue durassienne si singulière qui glisse, année après année, de l'exubérance à une forme dénudée, voire sibylline.
En introduction, Catherine Bouthors-Paillart nous propose un extrait de l'article intitulé
Les enfants maigres et jaunes, publié au milieu des années 1970. Ce petit article, oublié depuis, apparaît pourtant comme un texte capital où Marguerite Duras, pour la première fois, aborde le problème de sa quête identitaire en termes de " déliaison, d'inceste et de métissage " (p. 3) : triade essentielle qui constitue sans doute la figure la plus récurrente de son oeuvre et qui est à la base de sa pratique de l'écriture.
Dans ce texte, Duras évoque " la bête noire " et Catherine Bouthors-Paillart a bien raison de lui faire, si l'on peut dire, une place de choix, puisqu'elle occupe une position privilégiée dans la topique fantasmatique durassienne. Cette " bête noire " semble être la matérialisation métonymique des maladies endémiques. Dans l'imaginaire colonial, protection sanitaire et discrimination raciale se confondent : il faut éviter la contamination des Blancs par les Annamites. Un même combat est engagé à la fois contre les maladies indigènes et contre le métissage. La préservation de l'intégrité physique et identitaire de la minorité blanche en dépend. Or, ce que Duras va mettre en scène, d'une manière essentiellement transgressive, c'est le métissage et plus particulièrement ce que Catherine Bouthors-Paillart appelle le " devenir-métis " (p. 7). Mais l'épreuve du métissage est aporétique et il faut imaginer Duras " s'éprouvant confusément tantôt blanche tantôt jaune, tantôt blanche et jaune et, dans ce même temps du devenir-métis, ne se reconnaissant ni blanche ni jaune, sans identité " (p. 9).
Dans la première partie de l'ouvrage, " Couleur Métisse ", Structures et figures du métissage dans l'histoire et l'oeuvre de Marguerite Duras, l'auteur s'attache au décryptage des occurrences du métissage dans l'ensemble de l'oeuvre afin de révéler l'instabilité dans laquelle Duras perçoit la condition métisse et les raisons pour lesquelles elle s'est fantasmatiquement projetée en elle (Alice, la métisse, et les autres jeunes filles mentionnées dans
L'Amant et
L'Amant de la Chine du Nord sont un écho du propre désarrimage identitaire de Duras). Le " devenir-métisse " serait une manière proprement " alicéenne " de se projeter entièrement dans l'altérité : il s'agirait de reconnaître en l'autre son double (puisque comme soi il est humain), mais un double complètement autre en cela même qu'il incarne une brèche ouverte sur l'inconnu, perspective fascinante autant que terrifiante. C'est en ce sens que Catherine Bouthors-Paillart parle de l'éthique du métissage comme une pensée du risque et de l'imprévisible.
Le fantasme de métissage va permettre à Duras d'échapper à l'emprise maternelle mortifère en se propulsant dans l'écriture, afin par exemple de mettre en mots son désir pour le petit frère. Mais ce n'est là qu'une facette du métissage tel que Duras le met en scène dans ses écrits. En fait, Catherine Bouthors-Paillart se demande si l'intercession ne serait pas la fonction dévolue au métissage. Duras, en effet, devait peut-être en passer par l'intercession des deux épreuves de l'altérité maximale (celle du sang et celle du sens que sont métissage et écriture) pour s'éprouver dans son étrangeté et son incomplétude.
À l'instar de la prostitution, le métissage est, pour la société coloniale, une honte. De fait, prostitution et métissage sont souvent étroitement liés dans les textes durassiens. D'ailleurs, telle est l'alternative qui s'offre aux métisses de
L'Amant de la Chine du Nord et qui épouvante Hélène Lagonelle : " faire la prostituée " ou " soigner les lépreux " (
L'Amant de la Chine du Nord, Gallimard, 1991, p. 57). " Faire la prostituée " revient à accueillir en soi l'altérité, " soigner les lépreux " à courir le risque de contracter leur maladie : dans les deux cas, l'incorporation est altération. Ainsi, métissage et prostitution se confondent. Etape complémentaire dans l'épreuve de la perte des limites, la prostitution, tout comme l'écriture, entraîne cette absence, cette relégation de la vie personnelle, cette mise à disposition vers le dehors si chère à Duras.
Dans l'oeuvre durassienne, on peut donc reconnaître la fratrie métisse grâce au critère de la prostitution mais aussi à celui de la maigreur, inhérente au processus fantasmatique du désir métis. La traversée du fleuve sur le bac, emblématique de l'entrée de l'enfant en métissage, est associée aux soupes maigres que l'on consomme sur place et qui sont vendues par des hommes indigènes. Duras décrira d'ailleurs la soupe comme structurellement métisse car elle nettoie le corps, le débarrasse de ses scories, et le rend à sa vacuité première. Le désir métis est celui d' " une incorporation paradoxale de la maigreur indigène " (p. 125) : nourriture maigre, maigreur des corps : même fantasme d'une matière purifiée, enfin rendue à son " intégrité originelle ". Et à la maigreur du corps correspond la maigreur du texte : il faut aller jusqu'à l'os, dira Duras, au plus pauvre de la phrase, c'est-à-dire qu'il faut procéder à un véritable décharnement du texte. Ainsi, l'expérience durassienne du métissage n'est pas seulement identitaire, elle est aussi linguistique.
Dans la deuxième partie, intitulée " L'orient pernicieux des mots ", Métissage linguistique dans l'écriture de Marguerite Duras, Catherine Bouthors-Paillart avance l'hypothèse que ce que l'on a si souvent appelé, faute de mieux, " la langue de Duras ", serait en fait une langue hybride. Si Duras écrit en français, il semble que sa langue soit parasitée par un idiome clandestin : celui de la langue de son enfance, le vietnamien. Tout au long de cette partie étonnante, Catherine Bouthors-Paillart montre que c'est au niveau syntagmatique que les structures, les rythmes, et les accents du vietnamien trouvent à s'immiscer dans le texte de Duras.
En effet, la syntaxe et la morphologie de la langue vietnamienne se caractérisent par l'extrême simplicité de leurs structures. Or, Duras n'a cessé de dire son rejet violent de la syntaxe, affirmant que la richesse d'une langue résidait dans sa pauvreté. Catherine Bouthors-Paillart énumère les différents procédés linguistiques vietnamiens et retrouve le même type de construction chez Duras, par exemple la construction antithétique ou encore l'absence de verbe. De tels types de phrases permettent à Duras de rejoindre dans la langue française les modes de construction propres à l'idiome vietnamien, la métissant afin de donner à entendre l'écart et la dissonance. Duras n'a eu de cesse de délester son texte de la richesse lexicale et syntaxique propre à la langue française, qu'elle percevait comme une surcharge trompeuse, pour retrouver le vide primordial de la langue vietnamienne. Ainsi, " la langue jaune " colore-t-elle celle de Duras, mais il ne faut pas voir là une interpénétration linguistique : deux langues ne peuvent pas se fondre pour en devenir une troisième.
Et ce n'est donc pas un hasard si Catherine Bouthors-Paillart a emprunté le titre de sa deuxième partie, " L'orient pernicieux des mots ", à un passage du Ravissement de Lol V. Stein, car le " mot-trou " c'est aussi le non-écrit. Ecrire, c'est faire le deuil de ce " mot-trou ".
Ce que Catherine Bouthors-Paillart nous propose, c'est de lire les textes de Duras comme " une expérience et un discours métis " (p. 232), fondés sur une poétique du métissage qui serait à la fois construction et destruction d'une langue, construction et destruction d'une identité, insistant sur la nécessité de ne jamais perdre de vue que le texte durassien est toujours " hanté par la présence clandestine d'une autre personne " (p. 231). Le métissage, comme l'écriture, c'est l'inconnu de soi qui fascine et que l'on veut rejoindre : " […] écrire, c'est une sorte de faculté qu'on a à côté de sa personne, […] d'une
autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d'en perdre la vie " (Marguerite Duras, Écrire, Paris,Gallimard, coll. " Folio ", 1993, p.52).
Publié le 27/10/2007 à 12:00 par lireenpremiere
Rues des boutiques obscures, Modiano.
L’homme des plages.
Drôles de gens. De ceux qui ne laissent sur leur passage qu’une buée vite dissipée. Nous nous entretenions souvent avec Hutte de ces êtres dont les traces se perdent. Ils surgissent un beau jour du néant et y retournent après avoir brillé de quelques paillettes. Reines de beauté. Gigolos. Papillons. La plupart d’entre eux , même de leur vivant, n’avaient pas plsu de consistance qu’une vapeur qui ne se condensera jamais. Ainsi Hutte me citait-il en exemple un individu qu’il appelait ‘l’homme des plages ». Cet homme avait passé quarante ans de sa vie sur des plages ou au bord des piscines, à deviser aimablement avec des estivants et de riches oisifs. Dasn les coins et à l’arrière-plan de photos de vacances, il figure en maillot de bain au milieu des groupes joyeux mais personne ne pourrait dire son nom et pourquoi il se trouve là. Et personne ne remarqua qu’un jour il avit disparu des photographies. Je n’osais pas le dire à Hutte mais j’ai cru que ‘l’homme des plages » c’était moi. D’ailleurs je ne l’aurais pas étonné en le lui avouant. Hutte répétait qu’au fond, nous sommes tous des « hommes des plages » et que « le sable-je cite ses propres termes- ne garde que quelques secondes l’empreinte de nos pas ». (...)
Rue des boutiques obscures : Résumé, histoire, sujet
Après des années d'amnésie, Guy Roland, employé d'une agence de police privée que dirige un baron balte part, peut-être par besoin de se retrouver lui-même, à la recherche d'un inconnu, Pedro McEvoy, disparu depuis la guerre. Il recueille des bribes de la vie de cet homme qui était peut-être lui, auquel, de toute façon, il finit par s'identifier. Mais l'enquête, de plus en plus compliquée, découvrant toute une société cosmopolite vivant en France au moment du déclenchement de la guerre, aboutit plusieurs fois à des impasses, le livre se terminant sur une dernière mince possibilité d'élucidation du mystère.
Des noms affluent, des épisodes qui s’empilent, un mille-feuilles de l’évocation ; Guetter, observer, reconnaître, doute sur l’identité ; scruter des photos et chercher à se reconnaître.
Dans ce livre, les chapitres intermédiaires. sont nombreux avec fiche signalétique, coordonnées qui recueillent le tissu de relations : géographiques, affectives, familiales, amoureuses. Il y a des apatrides dont la principale obsession est « d’avoir une nationalité » Avec les noms, les personnes évoquées, les personnages croisés Guy Roland commence à se forger une identité. De rencontre en rencontre, il change d’identité possible. Est-il Pedro ? Celui-là ou un autre ?
Il y a toujours la boîte de biscuits, les photos, les noms, les visages, des souvenirs, des listes, des numéros de téléphone. Beaucoup de bars, de lieux collectifs où la solitude s’énonce.
L’enquête autour de Pedro commence à s’affiner : retrouver l’adresse, la nationalité, les lieux de vie. : « Les lettres dansent, qui suis-je ? »
Au fur et à mesure, Guy Roland-Pedro découvre des éléments de son passé mais jamais n’est affirmée, verbalisée son infirmité : l’amnésie. Un agenda atteste, le mariage avec Denise Coudreuse… Et au milieu de toutes ces conjectures, l’inquiétude s'accroît alors que la vérité semble se préciser. Mais quoi ? Qui ? Quelle vérité ?
Dans ce livre Patrick Modiano pousse loin l’économie textuelle : avec un nom et une adresse, il fait un chapitre. Somme toute, chaque personnage est réduit à un nom associé à un nom de lieu.
Rencontre avec le photographe JM Mansoure : le réseau téléphonique d’autrefois dans l’intervalle des sonneries, la peur, les rencontres clandestines, la sexualité inavouable, à l’époque. Modiano risque même un chapitre entier sur les photos d’un personnage disparu mais les souvenirs encore sont ils réels ou inventés ?
Guy Roland revient à l’agence Hutte où les souvenirs affluent mais étayés par le parcours accompli. Il y aurait eu un Pedro caché dans un hôtel : la fuite , la peur, l’exil, la clandestinité. Et surtout cette lettre de Hutte qui le nomme « Guy »
« Vous aviez raison de me dire que dans la vie, ce n’est pas l’avenir qui compte, c’est le passé. »
Alors deux identités Pedro Stern ou Pedro Mc Evoy Aurait-il eu plusieurs noms ? Qui j’étais, quel nom d’emprunt ? Il va jusqu’à Valparaiso… Pour la deuxième fois, il est reconnu. Jamais, il n’avoue qu’il a perdu la mémoire. Pourtant… Souvenirs plus précis ou reconstruction ? Dis moi, Pedro… Quel était ton vrai nom ? » Vérité et mensonge.
Une étape à Vichy : souvenirs réels ou inventés. De nouveau, la peur, la fuite, la culpabilité. Il va aussi chercher des traces au collège de Luiza, se demande comment était le père. Un père un inconnu, encore. Une couche encore dans l’inconnu : des comtes cachés ou des roturiers falsificateurs ? Dans les quarante dernières pages, un afflux d’images, de souvenirs plus précis, il semble recouvrer la mémoire. Ou s’invente-t-il un passé ? Une nouvelle scène de la fuite, mais fuir quelle menace ? Une scène de contrôle dans un train et survient un imaginaire romanesque celui qui s’est forgé avec le Cinéma.
Pédro passe une frontière, est abandonné dans la montagne. Et puis ces retours sur les lieux de l’abandon, de la perte, de la fuite. Mais aller-retour immédiat.
Aucun souvenir vrai, réel : « vréel »
Publié le 23/10/2007 à 12:00 par lireenpremiere
Lorsque je me suis installé dans la pension Vauquer, pour poursuivre mes études à Paris, j’ai tout de suite remarqué que Vautrin était un homme curieux qui n’avait rien en commun avec les autres pensonnaires. Ce fut l’un des rares à venir me parler : il était très chaleureux et il m’a posé des questions sur mes études ; naturellement je l‘ai trouvé, au premier abord, très sympathique.
C’était un homme d’une quarantaine d’années qui n’était pas très grand, mais il émanait de lui une force prodigieuse.
Ses jambes étaient courtes et robustes ; il se tenait toujours bien campé et droit et marchait d’un pas résolu, comme s’il avait toujours un but en tête.
Il était trappu, avec de larges épaules, des bras courts et puissants ; ses mains carrées semblaient pouvoir tordre des barres de fer. Sa figure était large et joviale tandisque son cou lui donnait l’apparence d’un taureau prêt à charger. Il avait des cheveux d’un roux ardent qui lui donnait l’apparence d’un diable énergique : il mettait toujours beaucoup de vie dans la morne pension Vauquer. Son rire était communicatif.
Il étai toujours prêt à rendre service ; un soir, alors que nous étions auprès du feu tous les deux, je lui avais fait part de mes ennuis d’argent et il s’était proposé spontanément de m’aider. Il comprenait les jeunes d’aujourd’hui, et Paris était un endroit où l’on ne pouvait pas vivre sans le sou !
J’aimais beaucoup avoir des discussions ave Vautrin, le soir, quand les autres pensonnaires étaient allés se coucher : c’était un homme qui connaissait une foule de choses ; il parlait très bien des pays étrangers et l’on aurait dit qu’il avait fait le tour du monde. Il parlait des lois et des prisons, ce qui était plus curieux, et il avait des avis étonnants sur les hommes et sur la société. Toutefois je ne savais pas de quoi il vivait, s’il avait une famille car c’était un homme très secret sous ses dehors engageants...
Un soir, alors que j’étais rentré très tard, j’avais entendu des bruits bizarres dans sa chambre qui était séparée de la mienne par une cloison, comme si l’on avait déplacé des meubles très lourds ou des valises pleines. Quelques jours après j’avais entendu des paroles échangées entre plusieurs personnes : Vautrin n’avait jamais fait entrer de pensionnaires dans sa chambre et je n’avais jamais vu quiconque entrer ou sortir de chez lui. Il recevait dons des inconnus chez lui à l’insu des pensionnaires et de madame Vauquer.
Au fond, il connaissait tout des pensonnaires mais personne ne le connaissait ; il avait un regard perçant qui pénétrait tout et il semblait lire les intentions et les désirs des gens. Personne ne savait par exemple où il se rendait le soir après dîner , mais il était capable de vous dire où vous étiez durant la journée, comme s’il avait eu des antennes qui le tenaient informé de vos fait et gestes.
Finalement, si la police, pour une raison quelconque, m’avait interrogé un jour sur Vautrin, moi qui le côtoyais plus que les autres pensionnaires, je n’aurais rien pu dire de plus : un homme sympathique mais secret, qui menait très certainement une double vie et qui par certains aspects de son comportement jetait indéniablement une sorte de trouble, voire, à y bien réfléchir, une sorte de crainte...Nous sentions qu’il nous tenait.
Voici une proposition qui peut vous paraître très simple, mais c'est pour vous montrer que mieux vaut quelque chose d'assez simple mais maîtrisé que de se lancer dans une écriture plus sophistiquée dont on perd le contrôle. Il manque cependant un raccord avec le reste du roman qui n'est pas écrit à la première personne et des précisions sur le profil de l'étudiant. Rien n'est dit du type d'études qu'il fait.
Publié le 21/10/2007 à 12:00 par lireenpremiere
Contribution trouvée sur le site magister
La dissertation obéit à des types de plans qu'on peut ramener à quatre :
•
le plan dialectique vous demande d'examiner un jugement, d'en montrer les limites voire de le réfuter .C'est le fameux plan "thèse/antithèse/synthèse".
On reconnaît aussi ce type de plan au libellé du sujet : les questions "Pensez-vous que...", "Dans quelle mesure peut-on dire que...", "Partagez-vous ce point de vue" etc. sont sans ambiguïté. Il vous faudra confronter les thèses avant d'exprimer nettement un avis personnel.
•
le plan thématique s'apparente au contraire à l'exposé. Il ne vous demande pas de discuter une thèse mais plutôt de l'étayer .c'est-à-dire de fournir un certain nombre d'arguments organisés capables de valider le jugement ou de répondre à la question qu'on vous a proposés.
On reconnaît ce type de plan au libellé du sujet : ce peut être une question ("Qu'est-ce qu'un grand roman ?"; "Qu'est-ce qu'une œuvre engagée ?") ou une invitation à vérifier une affirmation ("En quoi a-t-on raison d'affirmer que...", "Montrez, commentez ou justifiez ceci...").
•
le plan analytique, voisin du précédent, se propose d'examiner une notion en en envisageant les causes, les manifestations qui en découlent avant de proposer d'éventuelles solutions. Pour ces raisons, il est moins familier de la dissertation littéraire, dans laquelle néanmoins on peut rencontrer des libellés qui y invitent.
•
le plan comparatif vous amène à établir un parallèle constant entre deux notions. Ce plan pourra les examiner successivement dans les deux premières parties avant d'élaborer une synthèse personnelle qui essaiera d'établir leurs points majeurs de ressemblance ou de discordance et de proposer un dépassement.
sujet 5
Un personnage médiocre peut-il être un héros de roman ?
Les termes du sujet : préciser dans l'introduction le sens du mot médiocre (latin medius, "qui est au milieu".) Ainsi médiocre désigne ici ce "qui est sans éclat". Le sujet présuppose donc que le roman n'admet pas de héros « moyens », ce qui s'oppose à la conception classique (« Des héros de roman fuyez les petitesses », conseille Boileau aux poètes dans son Art Poétique.)
La position de la problématique : elle pourra partir de l'une des constantes du romanesque qui repose souvent sur l'exceptionnel et se demander si la "médiocrité" peut y avoir sa place.
Le libellé du sujet : La question posée sous cette forme rhétorique semble répondre par la négative. Implicitement, une thèse s'exprime ici, qui nie que le roman puisse admettre des personnages médiocres.
Le domaine d'application : le genre romanesque.
La recherche du plan : Il convient donc de suivre ici un plan dialectique où vous évaluerez la thèse implicitement proposée (thèse /antithèse/ synthèse).
I - LE ROMAN A BESOIN DE HÉROS :
• de destins exceptionnels (Julien Sorel dans
Le Rouge et le Noir de Stendhal)
• de personnalités hors du commun (Mme de Merteuil dans Les
Liaisons dangereuses de Laclos)
• de passions absolues (Des Grieux dans
Manon Lescaut de Prévost)
• le rythme romanesque et la nécessité de susciter l'intérêt obligent à rendre exemplaire le destin de personnages pourtant médiocres (Gervaise dans
L'Assommoir de Zola).
II - POURTANT CERTAINS PERSONNAGES SONT DES MÉDIOCRES :
• c'est le cas des personnages des romans réalistes qui ont choisi une peinture "objective" des milieux et des êtres : Georges Duroy dans
Bel-Ami, Jeanne dans
Une vie de Maupassant, les héros de Zola, pour qui « le premier homme qui passe est un héros suffisant » (Deux définitions du roman).
• le personnage peut être destiné à illustrer la contingence, l'absurde (Meursault dans
L'Étranger de Camus, Roquentin dans
La Nausée de Sartre, Bardamu dans
Voyage au bout de la nuit de Céline).
• le Nouveau Roman a choisi d'abolir le héros et de confier la représentation d'un monde énigmatique à des individualités transparentes ("L'époque actuelle est plutôt celle du numéro matricule" écrit Robbe-Grillet).
III - LE ROMAN N'ADMET LA MÉDIOCRITÉ QU'A CERTAINES CONDITIONS :
• si le personnage peut être un médiocre, il convient de faire la part de l'époque : cette esthétique n'est que celle du XX° siècle et certains théoriciens du nouveau roman l'ont abandonnée (romans de Le Clézio).
• il ne faut pas ignorer le goût légitime du public pour des œuvres où la création artistique lui évite de rencontrer des voisins de palier (Meursault lui-même accède peu à peu à un destin exceptionnel).
• de toutes façons, le roman a pour privilège de rendre la médiocrité unique et certains médiocres de la littérature sont devenus de véritables mythes (Emma dans Madame Bovary de Flaubert).