Plan détaillé d'un commentaire composé de cet extrait que j'ai trouvé sur internet. Il me semble qu'il reprend assez bien l'ensemble des éléments que nous avions trouvés.
Problématique : comment l'évocation du couronnement de Titus révèle à la fois la passion de Bérénice et son inquiétude quant à leur amour ?
Dans Bérénice de Jean Racine, l'héroïne, reine de Palestine, est passionnément éprise de l'empereur romain Titus au couronnement duquel elle vient d'assister. Dans la dernière scène de l'acte I, Phénice, sa confidente, lui a laissé entendre que la raison d'état pouvait s'opposer au mariage qu'une passion partagée semblait lui promettre. Bérénice, loin de considérer les doutes émis par Phénice, évoque alors avec exaltation la nuit du couronnement. Mais cette exaltation, qui témoigne de la passion de la reine, ne signifie-t-elle pas aussi l'inquiétude de Bérénice ? Notre étude s'arrêtera dans un premier temps à la dimension picturale de ce tableau nocturne, puis à la représentation de la gloire de Titus, transfiguré par l'amour de la reine. Enfin, nous examinerons les signes de l'inquiétude de Bérénice qui transparaissent dans ses propos.
I - Un tableau exalté
A - Un tableau
L'évocation du couronnement de Titus comporte un aspect pictural qui rend la scène vivante.
Bérénice parle d'un "souvenir charmant" au vers 317, c'est-à-dire d'un souvenir envoûtant selon le sens de l'adjectif au 17ème.
Elle donne alors à voir cette scène, d'où la récurrence de termes dénotant la vision : "De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur ? Tes yeux ne sont-ils pas tout pleins de sa grandeur ?".
La description acquiert une présence et une vivacité grâce à des notations concrètes : "Ces flambeaux, ce bûcher (...), ces aigles, ces faisceaux, ..." Phénice, les spectateurs et Bérénice se trouvent ainsi transportés sur les lieux mêmes du couronnement par le pouvoir suggestif de ces termes.
B - Lumières et couleurs
ce tableau prend une consistance particulièrement nette grâce à l'abondance d'expressions dénotant couleurs et lumières : la "pourpre", "l'or" amènent une luminosité et un éclat qu'augmente le lexique de la lumière.
Celui-ci prend une ampleur étonnante, notamment dans la gradation du vers 303 : "Ces flambeaux, ce bûcher, cette nuit enflammée".
Les antithèses opposant l'obscurité et la lumière donnent à voir un tableau en clair-obscur où Titus apparaît tel un rayonnement : Bérénice parle de "la splendeur" de "cette nuit", de la "nuit enflammée".
Le ton exalté de la reine qui reconstitue ce spectacle exprime en fait la passion qui l'habite : la présence des flammes et de la lumière y a une valeur métaphorique et témoigne autant de l'embrasement du cœur de l'héroïne que de la beauté du spectacle nocturne.
C - L'expression de la passion.
la passion est manifeste dans la structure accumulative de la phrase qui s'étend du vers 303 au vers 311 ; la récurrence des démonstratifs exprime l'exaltation de Bérénice en même temps qu'elle rend présente la scène passée. Tout se passe comme si la reine ne parvenait pas à s'arracher à ce spectacle grandiose, fascinée par l'éclat de son amant.
La syntaxe contribue à cet effet car elle est chargée d'une vive émotion : les tournures exclamatives des vers 312, 313,en témoignent, ainsi que l'abondance des tours nominaux du vers 303 au vers 311.
Ce tableau en clair-obscur exprime ainsi moins la réalité de cette nuit que la passion de Bérénice qui idéalise Titus.
II - L'idéalisation de Titus
A - Les symboles de la puissance
Dans l'Antiquité, les empereurs après leur mort connaissent une cérémonie d'apothéose qui les déifiait. La scène évoquée par Bérénice décrit en fait l'apothéose de Vespasien, père de Titus et ancien empereur.
Mais par un retournement significatif de la passion, c'est Titus lui-même qui semble comparé à un dieu.
Sa puissance est suggérée par de nombreux symboles: les "faisceaux" représentent la puissance publique, la "pourpre" désigne la couleur impériale, les "lauriers" symbolisent la victoire, et les "aigles" rappellent la puissance de l'empire.
Dès le début, Bérénice lui prête l'omnipotence divine : "il peut tout ".
B - Titus au centre des regards
il est selon le regard de Bérénice, auréolé de lumière , et lui-même source de lumière : par une inversion singulière, la "pourpre" et l'or" dont la fonction est de conférer l'éclat reçoivent, au contraire, de Titus une lumière qui les rehausse (vers 307) ;ainsi, la foule d'assistants "empruntent leur éclat" à l'empereur.
Il est comme une lumière fascinante qui attire les regards de tous, au centre de la scène. Cette focalisation est nette : l'énumération de l'assistance, "cette foule de rois, ces consuls, ce sénat", met en valeur par contraste l'unicité de Titus, dont le nom est accentué à l'hémistiche : "confondre sur lui seul leurs avides regards".
Titus est présenté comme un pôle d'attraction universelle pour une foule dont la seule action est de voir comme en témoigne la métonymie du vers 309 " tous ces yeux qu'on voyait venir de toutes parts".
C - La fierté d'une amoureuse
La personne de Titus est ainsi sans cesse mise en valeur par une tonalité hyperbolique, révélatrice de l'amour de Bérénice. La "splendeur" de la nuit comme l'indique la rime des vers 301 et 302 n'est due qu'à "sa grandeur".
De même sa puissance est mise en relief par la rime entre "gloire" et "victoire" aux vers 307 et 308. Bérénice se plaît à énumérer les hommages qu'on rend à son "amant" : les fleurs dont on couronnera ses images (vers 300), la venue de la foule, les vœux de "Rome entière" et les "sacrifices".
Sa fierté d'amante est manifeste lorsque à l'hémistiche du vers 306 elle le désigne par "mon amant", tout comme au vers 311 elle évoque sa "douce présence".
L'allitération continue en s confère à toute cette scène une poésie qui témoigne aussi de l'envoûtement de Bérénice.
III - L'inquiétude de Bérénice
A - Une tentative de persuasion
Cependant l'exaltation excessive de la reine n'est-elle pas également le signe d'une inquiétude sourde ?
En effet, Phénice vient d'insinuer le doute chez Bérénice en lui rappelant que la raison d'état pourrait bien s'opposer au mariage. Sa tirade comporte ainsi un aspect argumentatif voilé par lequel elle tente de persuader Phénice de son erreur.
Son discours, tout en exprimant son amour, tend à représenter la toute puissance de Titus : "Titus m'aime, il peut tout, il n'a plus qu'à parler". Ce tétramètre est significatif de la situation du couple : Titus détient désormais tous les pouvoirs, il est adoré de tous, donc même s'il ne respecte pas une loi , personne ne lui en tiendra rigueur. Bérénice n'attend plus qu'une déclaration officielle. Pourquoi renoncerait-il à son amour maintenant qu'il peut tout ?
La persuasion repose sur une implication de l'auditoire : elle appelle Phénice à considérer la puissance de Titus pour l'amener à oublier ses doutes. Son désir de la convaincre passe par de multiples interrogations aux vers 301, 302, 316, 317. Celles-ci n'ont qu'une valeur rhétorique : le fait qu'elle continue à parler, malgré ses propres questions laisse entendre sa crainte d'une réfutation qu'elle sait au fond d'elle possible.
B - Une inquiétude sourde
Son exaltation exprime en filigrane son inquiétude.
La syntaxe accumulative peut se lire comme le signe de la hâte que met Bérénice à prodiguer des preuves. C'est elle-même aussi qu'il s'agit de convaincre.
Les démonstratifs qui actualisent les éléments de la scène, "ces flambeaux, ce bûcher,..." sont des réalités que brandit la reine sous les yeux de Phénice afin de modifier son point de vue.
plutôt que d'examiner rationnellement le bien-fondé des réserves émises par la suivante, elle préfère revivre cette nuit grandiose et fuir la réalité de la politique romaine qui interdit à un empereur d'épouser une reine étrangère.
Ces paroles de Bérénice sont riches de sens : l'évocation du couronnement de son amant illustre la façon dont un cœur passionné transfigure la réalité. Titus se trouve ici au centre d'un tableau clair-obscur, objet de tous les regards et source de lumière ; mais cette reconstitution est aussi une tentative émouvante de convaincre celle qui parle comme celle qui écoute que Titus ne saurait abandonner Bérénice. L'illusion de l'héroïne constitue toute l'ironie tragique de cette scène : elle ignore qu'au même moment, Titus a renoncé à leur amour, ce que le spectateur apprendra dès la scène suivante.